Chapitre VIII
— Voilà que je rêve les yeux ouverts, marmotta Duncan, incrédule. Soit je déraille, soit je suis en plein rêve.
— Tu crois ? murmura Isadora. Tu crois que ça se peut, deux personnes qui font le même rêve en même temps ?
— Ça me rappelle une histoire que j’ai lue un jour, reprit Duncan, la voix basse et rauque. C’était une journaliste, en pleine guerre. Prisonnière de l’ennemi depuis trois ans. Tous les matins, elle regardait par la fenêtre de sa cellule, et elle croyait voir ses grands-parents venus la libérer. Mais bien sûr, ils n’étaient pas là. C’était une hallucination.
— Et moi, chuchota Isadora, j’ai lu l’histoire d’un poète qui croyait voir, tous les mardis soir, six jolies filles dans sa cuisine. Sauf que sa cuisine était déserte. C’était un fantasme.
— Mais non, leur dit Violette. (Elle passa une main à travers les barreaux, et les jeunes Beauxdraps se recroquevillèrent à l’autre bout de la cage, comme si leur amie de collège était une araignée venimeuse.) Mais non, ce n’est pas une hallucination. C’est bien moi, Violette Baudelaire.
— Et c’est bien moi, Klaus Baudelaire, dit Klaus. Je ne suis pas un fantasme.
— Pruni ! fit Prunille.
Tout en parlant, les enfants Baudelaire scrutaient la pénombre. À présent qu’ils avaient les pieds sur un sol ferme et horizontal, examiner l’endroit redevenait possible, même si le décor n’avait rien de riant. Leur longue descente les avait menés dans un cagibi crasseux, noir comme un four, apparemment vide à l’exception de cette grande cage rouillée. Dans la paroi du fond s’ouvrait ce qui semblait être un couloir, une sorte de boyau qui obliquait aussitôt pour se poursuivre on ne savait où.
Le spectacle de leurs amis en cage n’était pas plus réjouissant. Dépenaillés, barbouillés de crasse, ils semblaient tellement changés que Violette, Klaus et Prunille ne les auraient peut-être pas reconnus sans ce signe distinctif, les carnets de notes dont les deux triplés ne se séparaient jamais.
Mais ce n’étaient ni la crasse ni le triste état de leurs vêtements qui rendaient méconnaissables Isadora et Duncan. C’était quelque chose dans leurs yeux, des yeux qui criaient la fatigue, la faim, la frayeur absolue. En vérité, ils avaient le regard hanté. L’adjectif « hanté », vous le savez, s’applique surtout à des lieux – grenier, cimetière, collège, partout où patrouillent des fantômes –, mais parfois aussi à des êtres, à ceux qui ont vu, entendu, vécu des choses tellement horribles qu’on jurerait que des fantômes les habitent. Les enfants Beauxdraps avaient ce regard-là, et les enfants Baudelaire en eurent le cœur brisé.
— C’est vous ? C’est vraiment vous ? murmurait Duncan, clignant des yeux au fond de la cage.
— Mais oui, c’est nous, répéta Violette, les yeux embués.
— C’est eux, c’est les Baudelaire ! dit Isadora d’une voix étranglée, la main tendue vers celle de Violette. Ce n’est pas un rêve, Duncan ! C’est bien eux en vrai.
Klaus et Prunille à leur tour passèrent les bras entre les barreaux. Duncan quitta le fond de la cage pour venir toucher ses amis. Et les cinq enfants s’étreignirent à travers la carcasse de fer, mi-pleurant, mi-riant, bouleversés de s’être retrouvés.
— Mais comment avez-vous fait pour savoir que nous étions là ? s’étonna Isadora. Alors que nous, les premiers, on ne sait même pas où on est !
— Vous êtes dans un passage secret au 667, boulevard Noir, répondit Klaus. Mais en réalité, nous non plus, on ne savait pas que vous étiez là. On était juste en train d’essayer de découvrir ce que trafique Gunther – oui, c’est le nouveau nom d’Olaf Face-de-rat, ces temps-ci. Et c’est pour ça qu’on est descendus ici.
— Oh ! le nouveau nom d’Olaf, on connaît, dit Duncan avec un frisson. Et même ce qu’il mijote, on le sait. (Tout en parlant, il ouvrait son carnet – qui devait être vert, se souvenaient les enfants, mais semblait noir dans la pénombre.) Chaque fois qu’il nous voit, c’est plus fort que lui, il faut qu’il fanfaronne. Il nous dit qu’il va faire ci, et ci, et ça. Et moi, dès qu’il a le dos tourné, j’écris tout pour ne pas oublier. On peut être au fond d’un cachot et rester quand même journaliste.
— Ou rester poète, dit Isadora, ouvrant à son tour son carnet – qui devait être noir, se souvenaient les enfants, et qui semblait plus noir que jamais. Ecoutez ça :
Au soir de la vente, après les Enchères,
Gunther nous emporte au diable vauvert.
— Vous emporte ? s’écria Violette. Et il compte s’y prendre comment ? La police est sur les dents, depuis votre enlèvement. Vous êtes recherchés partout, et lui aussi est recherché.
— Oh ! je sais, dit Duncan. Mais justement. Gunther veut nous emmener clandestinement, pour aller nous cacher sur une île, une île connue de lui seul où personne n’ira nous chercher. Il compte nous tenir prisonniers là-bas jusqu’à notre majorité – jusqu’à ce qu’il puisse faire main basse sur les saphirs Beauxdraps. Et après ça, il dit, il nous…
— Arrête ! protesta Isadora, se couvrant les oreilles. Il nous a dit tant et tant d’horreurs ! Je ne veux plus les entendre.
— Ne t’en fais pas, la rassura Klaus. Nous allons alerter la police vite fait. Il n’aura pas le temps de dire ouf qu’il se fera coffrer presto.
— Sauf qu’il est déjà presque trop tard, dit Duncan. Les Enchères In, c’est demain matin. Il a prévu de nous cacher dans l’un des objets mis en vente, et un de ses complices s’arrangera pour enchérir à sa place et emporter le lot.
— Vous cacher dans L’un des objets ? s’écria Violette. Vous savez lequel ?
Ducan rouvrit son carnet, le front plissé pour déchiffrer dans la pénombre. Il le feuilleta un instant. À la vue de certaines des horreurs que leur avait dites Gunther, ses yeux s’écarquillaient d’effroi.
— Pas moyen de retrouver, il n’a pas dû nous le dire, avoua-t-il pour finir. Si tu savais, Violette, tout ce qu’il a pu nous raconter. Quels secrets abominables ! Quelles histoires à faire des cauchemars ! Des machinations ; des diableries ; des perfidies passées ou à venir. Et moi, j’ai tout consigné dans ce carnet, de V.D.C. jusqu’à cette affreuse combine de vente aux enchères.
— Bon, coupa Klaus, on discutera de tout ça plus tard. Pour le moment, il y a plus urgent. Et d’abord vous sortir de cette cage. Violette, ce cadenas, tu peux le crocheter ?
Violette saisit le cadenas et l’examina sous toutes ses coutures. Il faisait si sombre qu’elle avait le nez dessus.
— Hmm, pas sûr, dit-elle. Il a dû se procurer quelques cadenas pas piqués des hannetons, depuis le jour où j’ai réussi à ouvrir sa valise, du temps de l’oncle Monty. Avec des outils, j’y arriverais peut-être. À mains nues, aucune chance.
— Aguéni ? s’enquit Prunille, autrement dit : « Et si on sciait les barreaux ? »
— Scier les barreaux… dit Violette très bas, comme pour elle-même. Hmm. Pas le temps de confectionner une scie. À moins que…
Elle n’acheva pas, mais les autres enfants la virent, dans la pénombre, tirer un ruban de sa poche et attacher ses cheveux pour se dégager le front.
— Regarde, Duncan, souffla Isadora. Tu as vu ? Elle invente ! Elle va nous sortir de là en moins de deux !
— Tous les soirs, depuis notre enlèvement, murmura Duncan à l’intention de Klaus et Prunille, nous avons rêvé de ce spectacle, Violette Baudelaire en train d’inventer de quoi nous délivrer.
— Le problème, dit Violette sans cesser de réfléchir furieusement, c’est qu’avant de vous délivrer il va falloir qu’on remonte à l’appartement vite fait.
— Ooh non ! gémit Isadora. Vous allez nous laisser tout seuls ?
— Malheureusement, oui, soupira Violette. Pour faire vite, il me faut de l’aide. J’ai besoin de Klaus et Prunille. Prunille, commence à monter. Klaus et moi te suivons.
— Onosiou, fit Prunille, ce qui signifiait : « Bien, chef. »
Klaus la hissa à hauteur de la corde et elle s’y agrippa de ses petites mains pour entamer la longue remontée. L’instant d’après, il s’élançait à sa suite.
Violette serra très fort les mains de ses amis.
— Nous revenons, promit-elle. Le plus vite possible. Surtout, ne vous en faites pas. Nous allons vous sortir de là en moins de deux.
Expression qui signifie : « très vite », mais qui n’est pas d’une grande logique ; on ne précise jamais : « deux » quoi.
— Violette, commença Duncan, cherchant une page dans son carnet, s’il arrivait quelque chose… Si c’était comme la dernière fois, laisse-moi te dire au moins…
Violette mit un doigt sur sa bouche.
— Chut ! Tout ira bien, cette fois. J’en suis sûre.
— Mais au cas-z-où, insista Duncan. Qu’au moins vous soyez au courant, pour VD.C. Avant la vente, en tout cas…
— Non, non, plus le temps, coupa Violette. Tu nous diras tout ça bientôt, quand on sera sortis de cette mauvaise passe.
Elle empoigna la rallonge électrique qui se trémoussait sous son nez, et entama l’ascension à son tour.
— À tout à l’heure ! lança-t-elle à Duncan et Isadora, qui n’étaient déjà plus que deux formes dans l’ombre. On revient très vite ! répéta-t-elle, juste comme l’obscurité achevait de les happer.
La remontée au dernier étage se révéla bien plus fatigante, mais bien moins terrifiante que la descente ; il est toujours rassurant de savoir ce qu’on va trouver à l’autre bout. Là-haut, tout là-haut, il y avait l’appartement de soixante et onze chambres, et, dans ces soixante et onze chambres, sans parler de la centaine de salles de séjour, salles à manger, salles de billard et autres, Violette espérait bien trouver de quoi délivrer leurs amis.
— Écoutez-moi, dit-elle à ses cadets au bout de quelques minutes d’escalade, une fois là-haut, il va falloir fouiller l’appartement.
— Quoi ? dit Klaus, risquant un coup d’œil vers son aînée en contrebas. On a déjà fait ça ce matin ; ou plutôt hier, vu l’heure. Tu te souviens ?
— Oui, mais cette fois ce n’est pas Gunther qu’on va chercher. Ce sont des objets en fer longs et minces.
— Agoula ? s’enquit Prunille, autrement dit : « Pour quoi faire ? »
— Pour fabriquer des fers à souder. Ou à dessouder, plus exactement. Bref, des outils capables de faire fondre deux ou trois barreaux de cette cage. La technique, c’est d’appliquer quelque chose de très chaud contre le métal. Il devient mou et malléable. De cette manière, on fait des soudures ; mais on doit pouvoir aussi ménager une ouverture à cette cage, juste assez grande pour sortir de là Duncan et Isadora.
— Bonne idée, dit Klaus, mais j’aurais cru qu’il fallait un équipement spécialisé…
— En principe, oui, bien sûr. Normalement, on se sert de chalumeaux ou de lampes à souder, qui crachent de petites flammes brûlantes. Mais Jérôme et Esmé n’ont sûrement pas de lampe à souder ; vous savez bien, les outils sont out. Donc, on va s’y prendre autrement. Quand vous aurez trouvé des objets en fer longs et minces, venez me rejoindre dans la cuisine la plus proche de l’entrée.
— Seltrep, précisa Prunille, autrement dit : « Celle avec le fourneau bleu canard. »
— Exactement, dit Violette, et c’est avec ce fourneau bleu canard que je transformerai ces objets en fers à souder. Je les chaufferai au maximum – on dit « chauffer à blanc » –, et nous redescendrons fissa pour aller faire fondre ces barreaux.
— Tu crois que les fers resteront assez chauds ? s’inquiéta Klaus. Tu crois qu’ils seront encore brûlants au bout de la descente ?
— Je l’espère bien, dit Violette d’une voix blanche. C’est notre seul espoir.
Ces deux mots accolés, « seul espoir », font toujours un peu froid dans le dos ; si cet espoir-là est déçu, plus de recours. Et les trois enfants, grimpant toujours, avaient en effet froid dans le dos, malgré l’effort de l’ascension. Ils se turent, refusant de songer à la suite de l’histoire si l’invention de Violette échouait. Enfin, ils virent pointer au-dessus d’eux la lueur du palier, et peu après ils se retrouvèrent sur le paillasson de l’appartement d’Eschemizerre.
— N’oubliez pas, chuchota Violette. De longs objets minces en fer. Attention : ni or, ni bronze, ni argent. Au four, ces métaux-là tondraient. Bon, rendez-vous à la cuisine.
Ses cadets hochèrent la tête gravement et partirent dans deux directions opposées, chacun le long d’une piste de miettes, tandis que Violette gagnait directement la cuisine au fourneau bleu canard.
Là, elle promena son regard sur les étagères, la mine incertaine. Cuisiner n’avait jamais été son fort – sauf peut-être faire griller le pain, et encore lui arrivait-il d’obtenir du charbon de bois. Aussi l’idée d’utiliser le four sans la surveillance d’un adulte ne lui plaisait-elle qu’à moitié. D’un autre côté, elle avait accompli tant de choses, ces temps derniers, sans la surveillance d’un adulte !
À cette pensée, Violette reprit un peu d’assurance. Elle alluma le four bleu canard, le régla sur la puissance maximale, puis, tandis qu’il chauffait, elle entreprit de fureter sans bruit dans les tiroirs de la cuisine, à la recherche de trois gants de four. Les gants de four, vous le savez sûrement, sont ces espèces de moufles isolantes dans lesquelles on glisse les mains pour manier les plats brûlants sans se faire rôtir la peau. Ces protections, raisonnait Violette, allaient être indispensables pour tenir les fers à souder.
Elle désespérait d’en trouver lorsque, au fond du neuvième tiroir du buffet, elle dénicha trois superbes gants de four, épais à souhait, brodés de l’élégant logo Boutique In. À la même seconde, Klaus et Prunille firent irruption dans la cuisine.
— Jackpot ! chuchotèrent-ils en chœur, autrement dit : « Vois les beaux fers à souder ! »
Et Klaus compléta, brandissant fièrement trois tisonniers :
— Apparemment, les feux de bois ont dû être in à un moment donné. En tout cas, Prunille s’est souvenue de ce séjour à six cheminées, entre la salle de bal aux murs verts et la salle de bains avec ce drôle de lavabo, tu sais, en huître géante. À côté des cheminées, il y avait ces trucs-machins, des tisonniers, je crois – pour remuer les bûches et attiser le feu, quelque chose comme ça. Je me suis dit que si ça pouvait grattouiller des braises, ça devait pouvoir supporter le four.
— Bien vu, vous deux, approuva Violette. Jackpot, en effet. Ces tisonniers seront parfaits. Maintenant, je vais ouvrir la porte du four, et toi, Klaus, tu vas m’aider à y enfourner les tisonniers. Prunille, recule, s’il te plaît. Jamais de bébé près d’un four brûlant.
— Pravoutli, dit Prunille. Ce qui signifiait quelque chose comme : « Même à quatorze ans, on ne devrait jamais se servir d’un four sans la surveillance d’un adulte. »
Mais Prunille mesurait l’urgence de la situation et docilement, à quatre pattes, elle alla s’asseoir à l’autre bout de la cuisine.
Comme la plupart des fours domestiques, le fourneau bleu canard était prévu pour la cuisson des cakes et des gigots, pas pour celle des tisonniers, si bien que sa porte vitrée refusa de se refermer complètement. En conséquence, tandis que les enfants attendaient de voir leurs tisonniers se changer en fers à souder, la cuisine entière se changea en four, l’air chaud s’échappant joyeusement par la porte vitrée entrebâillée.
— Kaya ? s’informa Prunille au bout d’un moment.
— Pas tout à fait, répondit Violette, glissant un coup d’œil prudent à la fente. Le bout commence juste à jaunir. Il faut qu’il devienne blanc. Tout blanc. Il y en a encore pour quelques minutes.
— Je suis inquiet, dit Klaus. Je veux dire : anxieux. Anxieux par l’idée que les Beauxdraps sont tout seuls.
— Moi aussi, je suis anxieuse, avoua Violette ; mais que veux-tu faire ? Si nous sortions nos tisonniers maintenant, ils seraient froids avant d’arriver en bas.
Ils se résignèrent en silence. Et, tandis qu’ils attendaient patiemment, les trois enfants eurent l’impression que la cuisine se transformait sous leurs yeux. Dans leur fouille de l’appartement, la veille, ils avaient exploré toutes sortes de pièces – salles de ceci, salles de cela, sans parler d’une collection de salles qui semblaient bien ne servir à rien –, et pourtant il était une pièce qui manquait à l’appartement : une salle d’attente.
Une salle d’attente, en général, est une pièce assez peu meublée, mais avec une armée de sièges, des tas de magazines écornés et des tableaux mièvres aux murs – « mièvre » signifiant ici : « montrant des chevaux dans un pré ou des chatons dans un panier ». C’est là que médecins et dentistes font patienter leurs patients avant de leur faire mille misères à des tarifs exorbitants. Il est rarissime de trouver une salle d’attente dans un logement, même dans un appartement aussi grand que celui des d’Eschemizerre, pour la bonne et simple raison qu’une salle d’attente est une pièce à mourir d’ennui, dont personne ne voudrait chez soi.
Pourtant, tout en attendant que leurs fers à souder soient brûlants, les enfants Baudelaire eurent l’impression que les salles d’attente étaient soudain in, et qu’Esmé, instantanément, venait d’en créer une dans cette cuisine. Non, les buffets ne s’ornaient pas de chevaux ni de chatons ; non, il n’y avait pas non plus de magazines éculés sur la table ; mais tandis que les tisonniers viraient du jaune à l’orange, et de l’orange au rouge vif, et du rouge vil au blanc, les trois enfants se sentaient pris des mêmes démangeaisons anxieuses que lorsqu’ils s’apprêtaient à passer entre les mains d’un professionnel de la santé.
Enfin les tisonniers, dûment chauffés à blanc, furent prêts pour leur rendez-vous avec les barreaux de la cage. Violette tendit un gant de four à chacun de ses cadets, elle enfila le troisième et, retenant son souffle, sortit l’un après l’autre les tisonniers du four.
— Tenez-les bien droits et faites très attention, dit-elle en remettant à chacun son outil. C’est assez brûlant pour faire fondre du métal, alors songez à ce que ça pourrait faire à un nez. Mais on va y arriver, j’en suis sûre.
— Ça va être acrobatique de descendre d’une main, dit Klaus, suivant ses sœurs vers le palier. (Il tenait son tisonnier droit comme un cierge, attentif à n’effleurer rien ni personne.) Mais on va y arriver, j’en suis sûr.
— Zélestin, déclara Prunille comme ils atteignaient la porte du simili-ascenseur, autrement dit : « Quel cauchemar de redescendre là-dedans ! » À quoi elle s’empressa d’ajouter : « Hennipy », autrement dit : « Mais on va y arriver, j’en suis sûre. »
Et elle en était aussi convaincue que ses aînés.
Les trois enfants regardèrent, sans un mot, s’ouvrir la double porte coulissante, mais cette fois ils ne prirent pas le temps de rassembler leur courage. Leurs fers à souder étaient brûlants, comme l’avait souligné Violette ; descendre s’annonçait acrobatique, comme l’avait souligné Klaus ; et cauchemardesque, comme l’avait souligné Prunille. Mais les trois enfants étaient sûrs d’y arriver. Leurs amis comptaient sur eux, et les orphelins avaient confiance : ce « seul espoir » ne les trahirait pas.